jeudi 17 janvier 2013

Lettre à un cousin de campagne


Quand Alexis Brézet nous compte, à la manière de Balzac, les faits et personnages marquants de la semaine écoulée cela donne ça :
(voyez-le tel qu'en lui-meme : sous la peau du tigre ne se cache qu'un singe savant)


            


http://www.valeursactuelles.com/politique/vice-pr%C3%A9sident20130110.html

Le vice-président

Par
Eugène de Rastignac


Certains sont abonnés à l’opéra, mon cousin, d’autres (les bienheureux) à la Lanterne éclairée, M. de Werther, depuis son plus jeune âge, est abonné aux premières places. Passé par l’École normale et l’École d’administration, le jeune homme va comme une balle dans la vie politique avec une aisance qui laisse pantois.

Député avant 30 ans, ministre avant 40, il compte aussi vite qu’un Auvergnat, parle l’arabe comme un Roi mage, trouve son chemin comme un Corse dans le maquis des règles et des impôts. « Il y a trop d’avenir dans cette tête », pensent ses rivaux en voyant sa haute silhouette, toujours pressée, irrésistiblement attirée par les étranges lucarnes. Les jeunes filles unionistes font la révérence devant ses cheveux d’argent, son sourire contraint et ses yeux sombres qui, en un trait, deviennent terribles.

Ministre de Martial Kropoly, il aimait à recevoir dans son bureau, sa redingote posée sur un fauteuil. M. de Werther, comme ceux qui se préparent à des travaux de force, remontait lentement les manches de sa chemise brodée.
Il faisait la preuve, pensait-il, de son ardeur à la tâche. Ce jeu de main était-il de son fait ou le fruit d’un conseil en image ?

Pour que tous le reconnaissent dans la cour du Château, il couvrait ses mois d’hiver d’un mol manteau rouge. Les gazetiers, en de longs conciliabules, décryptaient les mystères de la chemise et l’énigme du manteau. Ils y ont finalement vu les preuves d’une ambition trop affichée, d’une séduction trop méthodique.
Une loi en trois heures, un rapport en trois jours, un livre en trois semaines, M. de Werther en faisait sans doute un peu trop. La politique, pour lui, semblait n’être rien d’autre qu’une excellente composition. Las, une nuit de novembre, elle a montré au jeune Werther son vrai visage.
Pour une fois, il n’était pas premier et François du Falard, son candidat, non plus. Il ne s’agissait plus alors de dialectique mais de poignards, c’en était fini des brillants discours, venait le temps des vengeances et des poisons.

Il faudrait un livre entier, mon cousin, pour retracer les jours de l’ambitieux durant les temps de troubles. Raconter son désarroi, sa colère, les émissaires de Rodolphe Castanier qui venaient lui faire la cour et la découverte, avant l’aube, des votes oubliés de nos îles lointaines. La nuit était fort avancée et les chefs des différents manifestes unionistes comptaient leurs votes à la lanterne, comme des apothicaires. Il devait être 3 heures quand le maire du Puy-en-Velay s’est exclamé : « Mais, mais… », avant d’interroger ses concurrents sur sa découverte et de sortir, au galop, pour convaincre François du Falard et ses troupes de reprendre la bataille. L’habile homme, ensuite, est resté loin du combat. Il avait compris qu’il n’y aurait dans cette lutte aucun vainqueur. Son manifeste était derrière celui de l’intrépide Gauvain Thuillier, qu’importe !

Désormais M. de Werther n’est plus le même. Dans son esprit passent les saisons : les branches mortes sont consumées et les ambitions bourgeonnent.

L’année a donc commencé avec lui. Le futur vice-président unioniste a montré courage et fermeté dans sa défense de l’autel. Il n’a pas ménagé notre ministre de l’Instruction publique, non plus que les jacobins qui se moquent des Soeurs de la Charité et ricanent sur la Sainte Famille (il avait défendu tantôt notre calendrier chrétien et obtenu, ce jour-là, les honneurs de la Société première par la grâce d’un excellent ami gazetier, mais cela est une autre histoire…).

Il a eu l’ingéniosité de demander un référendum sur l’absurde loi qui voudrait marier deux hommes. M. de Werther apprend vite. Il a compris ce que le bon peuple unioniste a réclamé dans l’élection du mois de novembre. Lui qui va parfois puiser quelques pépites au ruisseau de Patrocle de Bièvres (ce dernier, dit-on, lui aurait même conseillé dès le mois de mai d’être le porte-étendard de Martial Kropoly) a vu, de ses yeux, qu’une élection ne se gagne ni dans les gazettes ni dans les salons. Sera-t-il candidat à la présidence du parti au mois de septembre ?

Allons, mon cousin, le temps n’est plus aux vanités, aux titres et aux médailles ! C’est tout du moins le serment que bêlent aujourd’hui tous nos lions en prenant des airs d’agnelets.

Croyez-moi, dans le secret des étranges cornets, le clair-obscur des auberges et le silence des cabinets, il se prépare de savoureuses combinaisons, d’incroyables alliances. Inutile de vous les décrire, à peine aurai-je posté cette lettre que nombre d’entre elles seront caduques. Sachez toutefois que le jeune homme montre trop d’assurance pour ne pas aller fort loin.

“Vice-président” ? M. de Werther a beau le nier de toutes ses forces, mon cousin, entre ces deux mots qui résument toute la politique, il a choisi…

Gauvain Thuillier : fondateur de la Droite forte ; François du Falard : député de Paris, ancien premier ministre ; Rodolphe Castanier : président des unionistes ; Patrocle de Bièvres : politologue, président de la chaîne Histoire

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