samedi 24 novembre 2012

UMP : des nouvelles de demain



Excellente (psych)analyse !

 

Le psychanalyste Jacques-Alain Miller livre son analyse sur l'entretien de dimanche à 19 heures entre Copé, Fillon et Juppé. 

 

Alain Juppé se pose en réconciliateur pour sortir de la crise ouverte dans laquelle est enfermée l'UMP à cause de la guerre Copé-Fillon.  
Alain Juppé se pose en réconciliateur pour sortir de la crise ouverte dans laquelle est enfermée l'UMP à cause de la guerre Copé-Fillon. © AFP


Le jour se lève, le cessez-le-feu tient toujours. On respire. On attend le "teafortwo-plus un" prévu dimanche à 19 heures, qui doit réunir à Paris Jean-François Copé et François Fillon à l'initiative d'Alain Juppé. On voudrait s'y introduire, n'est-ce pas, comme une petite souris. Une journaliste politique, Geneviève Tabouis, est restée célèbre pour ses émissions de radio, les Dernières nouvelles de demain, qui débutaient sempiternellement par la formule : "Attendez-vous à savoir..." Nous n'avons ici ni ses dons de pythonisse, ni ses réseaux d'informateurs privilégiés. Voyons si nous pouvons risquer quelques prévisions en prenant les choses comme Rouletabille, par "le bon bout de la raison".
Le temps des couleuvres est arrivé pour François Fillon. Il vient de passer sous les fourches caudines de la fameuse Conare. On a appris qu'après avoir récusé la commission des recours, qu'il tenait pour partiale et acquise à Jean-François Copé, il venait de la saisir sur l'injonction d'Alain Juppé. C'est le prix qu'il paye pour avoir appelé son aîné à la rescousse, et lui avoir remis son sort entre les mains. Auto-décapité, il est entré dans le jeu comme le sacrifié, et ce choix détermine sa position : il boira le calice jusqu'à la lie. Son chemin de croix ne fait que commencer. La Maison Fillon sera dépecée. Une négociation s'entame. Demandons-nous quel est, pour chacun des protagonistes, son impératif majeur.

 

Les impératifs de chacun

Alain Juppé est entré dans le jeu comme le médiateur, l'homme de la dernière chance. Son prestige est dans la balance. Tout le monde attend de lui qu'il préserve ce qu'il a sous-entendu être menacé, à savoir "l'existence de l'UMP". L'impératif majeur qui gouverne sa conduite pourrait se formuler dans des termes qui rappellent un film célèbre : "Il faut sauver le soldat UMP !" Bien entendu, il lui faut également sauver ce qui peut l'être du chiraquisme, dont il est aujourd'hui le fondé de pouvoir, c'est-à-dire son personnel (vieille garde et jeunes pousses) et son projet (un conservatisme pragmatique, rassembleur, modéré). Cependant, cet objectif lui-même suppose que perdure le parti aujourd'hui menacé.

Il est aussi de l'intérêt de Jean-François Copé que l'UMP continue, ne serait-ce que parce qu'il a réussi à entrer dans cette négociation cruciale en tant que le président. Or, le rester, président, tout le monde a bien compris dès dimanche soir que c'était pour lui l'impératif majeur, et que, "plutôt que de concéder l'élection, il mettrait le feu à la maison", comme nous l'avons aussitôt écrit (voir le numéro du Point en kiosque depuis jeudi, page 50). Ce qui gouverne sa conduite, c'est donc le principe : "Il faut sauver le président Copé !" L'intéressé a pris soin de souligner que ce point ne serait pas négocié : "Je ne me laisserai pas voler ma victoire." Il l'a souligné sans fard, alors que François Fillon s'en tenait à une formulation qui, pour paraître plus décente, est malheureusement indéterminée et inopérante : "Je ne laisserai pas voler leur victoire aux militants."

 

Digression philosophique

Le principe de Jean-François Copé fait-il la preuve de son égoïsme ? Mérite-t-il une censure morale ? Est-ce le fait d'un "voyou", comme le suggère Marianne ce matin ? Non, pas nécessairement. Le président en exercice de l'UMP soutient que ce n'est que justice que de lui reconnaître sa victoire, et, dit l'adage, "Fiat justitia, et pereat mundus", traduit par "Que justice soit faite, quand bien même le monde devrait en périr". Ce fut la devise de Ferdinand Ier, empereur du Saint-Empire germanique, et Kant la commente dans l'une des annexes de son Projet de paix perpétuelle de 1795. Cette sentence, juge-t-il, est cavalière, mais elle est vraie, et elle témoigne de "l'idée, rationnelle et pure, d'un devoir-être inconditionnel" (J. Boulad-Ayoub, "La prudence du serpent et la simplicité de la colombe...", 1997).

Kant détermine le "mundus" ici en question comme "les méchants en ce monde", et on voit en effet Jean-François Copé prêter à François Fillon des motifs infâmes : ressentiment, envie, mépris du suffrage universel, invitation au suicide collectif... On dira que c'est fort injuste pour François Fillon, et qu'il est dans cette affaire le gentil, l'homme honnête, décent, désintéressé, qui n'a pas d'autre impératif avoué que : "Il faut sauver l'honneur du parti !" Sans doute. Cependant, l'honneur d'un parti politique, c'est là une notion très aventurée, dont il n'est pas avéré qu'elle ait la moindre traduction pratique. Même à admettre que l'honneur d'un parti politique est quelque chose qui puisse se perdre, rien ne prouve qu'il ne puisse se raccommoder, comme le pucelage des filles de Venise selon Casanova. D'une façon générale, concernant les rapports de la morale et de la politique, les propos de François Fillon et de ses partisans témoignent d'une conception qui les a mis hors jeu, comme on le verra en revenant à la négociation en cours à l'UMP.

 

D'un jeu l'autre

On peut raisonnablement prévoir son issue. Il suffit de s'inspirer de la théorie mathématique des jeux, voire simplement de la théorie des ensembles. Dans le contexte du duel Copé-Fillon, dont l'enjeu était la présidence de l'UMP, nous étions devant un jeu "à somme nulle" : ce que l'un perd, l'autre le gagne, et vice versa ; c'est Fillon le président, ou c'est Copé. Pas de milieu. Tout change avec l'apparition dans le jeu d'un nouveau joueur, Alain Juppé. Non pas que nous ayons maintenant trois joueurs. Comme nous l'avons expliqué, il se substitue au joueur Fillon. Seulement, et tout est là, il ne s'y substitue pas à la même place.

Le fait capital, c'est que, désormais, l'enjeu n'est plus le même. Alain Juppé a su l'énoncer avec une parfaite lucidité. Jeudi après-midi, dans le communiqué où il posait son premier "ultimatum", il écrivait ceci : "Ce qui est désormais en cause, ce n'est plus la présidence de l'UMP, c'est l'existence même de l'UMP." Ce dit est transformationnel. Il change la nature même de la situation, et la logique qui l'anime. Nous n'avons plus affaire à un jeu à somme nulle, où les joueurs sont des adversaires se disputant le même gain. À la différence du duel Copé-Fillon, le duel Copé-Juppé est un jeu du type coopératif.
Dans une telle configuration, il peut exister une convergence des stratégies concurrentes, à condition que les joueurs se coordonnent, "se coalisent". D'où l'importance du "teafortwo" de dimanche soir. Si Alain Juppé l'a exigé de façon comminatoire, c'est qu'il ne s'agit pas pour lui de faire la causette, mais d'installer la fonction de la coalition. Cette fonction, impossible dans le cadre d'un jeu à somme nulle, est nécessaire dans un jeu coopératif. Alain Juppé veut s'assurer des impératifs de chacun afin de déterminer le point d'équilibre, qui existe, et qui est unique.

 

La bourse ou la vie

Simplifions. D'un côté, "sauver l'UMP". De l'autre, "sauver la présidence Copé, l'UMP dût-elle en périr". L'impératif Juppé est-il incompatible, antagoniste, avec l'impératif Copé ? Réponse : les deux se recoupent partiellement, il y a une intersection, et c'est précisément "l'existence de l'UMP". Pour simplifier encore davantage, disons que nous sommes devant une situation de "choix forcé", au sens de Lacan, et qu'il illustre de l'exemple "la bourse ou la vie" (cf. Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, 1973).

Vous voilà arrêté sur une route de campagne par des brigands de grand chemin, comme le jeune Barry Lyndon dans le film de Kubrick. Le capitaine Feeney, les armes à la main, vous réclame votre bourse. La lui donner ou pas, vous êtes libre, vous avez le choix. Si vous cédez, vous perdez votre bourse. Si vous résistez, vous perdez et votre bourse et la vie. Dès lors, votre choix est forcé. Vous livrez votre bourse, puisque, dans tous les cas, elle est déjà perdue. Le choix entre les deux termes proposés se limite donc à perdre les deux, ou bien n'en conserver qu'un, toujours le même, la vie, certes écornée d'une perte inévitable..
Dès lors que l'impératif d'Alain Juppé est le "primum vivere", la vie de l'UMP (et il n'est entré dans le jeu que pour le promouvoir), les jeux sont faits : Jean-François Copé gardera la présidence. Quant à François Fillon, il est hors jeu. Il est là, mais ce n'est que pour signer sa reddition. La question de savoir si on lui permettra de sauver la face, et de quelle manière, n'intéresse pas notre logique.

 

La logique du choix forcé

Alain Juppé est lucide, Jean-François Copé ne l'est pas moins. Il sait qu'il tient le bon bout de l'affaire en cours. La preuve en est qu'il a obtenu d'Alain Juppé que l'équipe Fillon en passe par la commission des recours, dont elle ne voulait pas entendre parler, et qu'il l'a obtenu sans rien céder aux exigences du même Juppé concernant cette commission : qu'elle déporte certains de ses membres, et qu'elle attende pour se réunir le "teafortwo" de demain soir. Dans Sud Ouest de samedi matin, Alain Juppé déclare qu'il prend acte de la décision du président de la commission des recours de réunir celle-ci dimanche matin, bien qu'elle ne soit pas conforme, affirme-t-il, "à ce que je souhaitais". Il termine en lâchant : "En tout cas, il n'est pas question pour moi de bénir une procédure à laquelle je n'aurai pas participé". Avantage: Copé.

Alain Juppé obtiendra-t-il sur ce point de Jean-François Copé "un geste de bonne volonté" ? Ou le président se sent-il en mesure de lui refuser toute concession, même mineure ? Nous le saurons dans les prochaines heures, ce qui permettra de mieux mesurer le rapport de force. Cependant, si Jean-François Copé lâche du lest et concède quelque chose à ce "partage" que lui réclame Alain Juppé, tout dans sa présente attitude laisse à penser que ce sera une portion congrue.
Bien que purement formelle, notre analyse de ce samedi matin nous amène donc à prévoir que la "médiation Juppé" ne capotera pas, quels que soient les aléas qu'elle rencontrera. Des soubresauts, des affects, il y en aura, mais ils se plieront en définitive à la logique du choix forcé.

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